Sur le bord d'une route
Un épi de froment,
Né du hasard sans doute,
Se penchait tristement.
Il croissait dans la solitude
Et jamais la sollicitude
Ne l'avait protégé.
Il en était bien affligé,
Car il songeait qu'à la moisson prochaine
Le moissonneur ne prendrait pas la peine
De le recueillir,
Et que sur sa tige,
Sans aucun prestige,
Il faudrait vieillir.
Une implacable sécheresse
Vint ajouter à sa détresse ;
Il crut bien qu'il allait périr
Avant de mûrir.
Heureusement qu'une fauvette
Quand le jour avait lui,
Venait chanter sa chansonnette
Auprès de lui.
— Toi dont le cœur est bon, entends ma voix plaintive,
Doux chantre ailé,
Lui dit-il désolé,
Va me chercher là-bas quelques gouttes d'eau vive,
Je voudrais vivre encor.
L'oiseau prit son essor
Et, d'une aile rapide,
À la source limpide
Vola, compatissant ;
Il puisa quelques gouttes
Et vint les verser toutes
Sur l'épi languissant.
C'en fut assez. L'épi, sous la molle rosée,
Retrouva sa force épuisée
Et sa vigueur ;
Il trouva l'existence un peu moins monotone
Et, lorsque vint l'automne
Avec sa rigueur,
Il était mûr, et sa tête superbe
Se balançait avec orgueil.
Alors il entendit, dans une toufse d'herbe,
Un chant de deuil.
Il écouta. C'était la fauvette obligeante.
— Qu'as-tu donc, lui dit-il d'une voix engageante,
Qu'as-tu donc à gémir ainsi ?
— J'ai faim, répondit-elle, et cherche quelques graines…
Je voudrais voler loin d'ici
Et mes ailes sont vaines !
— Mes grains sont mûrs ; viens près de moi,
Je te les donne
Et m'abandonne
À toi.
L'épi, vers la terre endormie,
À ces mots, s'inclina soudain,
Et la fauvette son amie
Ne mourut pas de faim.
Faites la charité, faites sans bruit l'aumône,
Pour Dieu d'abord et puis pour vous ;
Car vous ne savez pas, fussiez-vous sur un trône,
Ce que vous garde un sort jaloux.