Les deux Chouettes Louis-François Jauffret (1770 - 1850)

Une Chouette, dont les ans
Rendaient l'humeur un peu chagrine,
Avait justement pour voisine
Une Chouette en son printemps.
Elle s'en vient chez elle, un jour, avec mystère,
Et lui dit, d'un ton aigre-doux :
Mon enfant, je ne peux vous taire
Que déjà dans le monde, on parle mal de vous.
J'étais hier matin, sous celte voûte antique
Où s'assemblent par fois les hiboux du canton ;
On fit tomber sur vous la conversation,
Et vous fûtes en butte aux traits de la critique.
Moi seule (l'amitié m'en faisait un devoir),
Je pris votre défense. Oh ! la fine Chouette !
Elle eu sait long déjà, disait-on. En cachette
Un duc lui fait la cour.—Un duc ?— Oui, chaque soir,
Dès que l'ombre propice étend son voile noir,
Monseigneur vient auprès de la jeune coquette,
Et s'établit dans son manoir.
J'ai soutenu, tout franc, que c'était calomnie,
Et j'ai fait taire ainsi les propos de l'envie :
Mais enfin, ma voisine, en vous les rapportant,
J'imagine vous rendre un service important.
— Oui, vous venez d'agir en charitable amie ;
Vous m'avez parlé clair, et j'en dois faire autant.
Je me trouvais, la nuit dernière,
Au cercle des hiboux, dans la gothique tour,
D'où l'œil peut au besoin lorgner la plaine entière.
Sur le compte d'autrui, comme c'est l'ordinaire,
On médisait tout haut. Vous eûtes votre tour,
Et l'on vous déchira d'une étrange manière.
Certain hibou malin disait, parlant de vous :
La bonne dame est décrépite ;
Voilà ce qui l'offusque et ce qui la dépite.
Elle maudit le temps jaloux,
Et ses atteintes indiscrètes ;
Déteste les jeunes chouettes,
Mais chérit encor les hiboux.
Cette folle, au clair de la lune,
Agace effrontément les ducs, qu'elle importune :
Au plus haut encornés elle fait les yeux doux...
J'ai soutenu, tout franc, que c'était calomnie ;
Mais vainement je m'efforçais...
A ces mots la béguine était déjà partie.
L'autre ne la revit jamais.

À la vieillesse est dû le respect le plus tendre ;
Mais souvent du jeune âge elle affecte les airs,
Et s'ôte, en affichant ses goûts et ses travers,
Le droit qu'elle a de les reprendre.

Livre III, Fable 11




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