Un modeste églantier , au fond d'un bois tranquille,
Heureux de ses petites fleurs,
Aux douces et fraîches couleurs,
Vivait libre et content dans son champêtre asile .
Mais un jour, on l'arrache, on l'emporte, on l'exile,
On le transplante ailleurs, on lui coupe les bras,
Puis on lui fend la peau, puis sous la peau l'on glisse
Un bourgeon de rosier qu'il faudra qu'il nourrisse.
A partir de ce jour hélas !
La force, la sève, la vie,
A sa pauvre tige est ravie
Pour l'étranger qu'il n'aime pas.
Cette touffe de fleurs, ce tendre et vert feuillage
Que portent ses jets vigoureux,
Ils ne sont pas à lui ; dans son triste esclavage,
Il produit seulement pour un maître orgueilleux.
Mais au-dessous des tiges franches,
Un sauvage bourgeon en secret se fait jour,
Et, tout petit d'abord , ce bourgeon à son tour
Va se développer en branches.
La nature aussitôt a repris tous ses droits.
Notre églantier retient sa sève ;
Il ne veut plus qu'elle s'élève
Jusques à son tyran qu'il réduit aux abois ;
Il la prodigue toute à la tige nouvelle,
Il n'en a pas de trop pour elle.
Mais le maître, s'apercevant
De la tentative rebelle,
Coupe le bourgeon infidèle,
Et tout va comme auparavant.
A quelque temps de là, cependant on remarque
Que le rosier languit, et que du fier monarque
La pourpre a perdu son éclat,
Tandis que l'églantier se trouve en bon état.
Cherchez bien ; car le pauvre esclave,
Contre la puissance qu'il brave,
Est ingénieux, obstiné.
L'églantier a poussé, dans l'ombre et le silence,
Un drageon souterrain qui s'allonge, s'élance,
Et qui de fleurs à lui se verra couronné.
Le rosier meurt, l'esclave avec le maître tombe,
Privé du suc vital qu'il n'a pas ménagé,
Car à lui-même enfin jamais il n'a songé ;
Mais si pour ses fils il succombe,
Il meurt du moins libre et vengé.
Tel périt en noble victime,
Et souvent trop peu regretté,
Le héros-citoyen qu'anime
L'amour de la patrie et de la liberté.