Le jeune Enfant et la Branche de Sureau Pierre Louis Dominique de Gautier de Saint-Paulet (1800 - 1883)

Et par monts et par vaux courant,
Aux bords d’une onde pure un jeune gars arrive ;
Il voudrait bien sur l'autre rive!
S’élancer d'un seul bond; mais le saut est bien grand!
L'enfance est fort imitative
Et cet instinct lui sert de maitre assez souvent.
Le gars se souvient que naguère
Au moyen d'une gaule il avait vu son père
Sans peine franchir le torrent.
Pourquoi n’en ferait-il autant ?
Concevoir pour l'enfance, agir est même chose ;
Le fait est aussi prompt que la pensée éclose.
Une branche est coupée au plus prochain hallier ;
Le gars l’enfonce au sein de l’onde
Et, s'appuyant sur ce levier,
S’élance, audacieux, par-dessus l'eau profonde ;
Mais la branche n‘était, hélas! que de sureau;
Elle rompt : au courant de l’onde
L’enfant tombe ; le flot l’entraine ;
Il est péri si, par bonheur passant,
Un pâtre de mort trop certaine
Nett sauvé le jeune imprudent.
Ce n'est pas tout d’oser : il faut faire alliance
De l'audace a l’expérience
Voulez-vous un exemple ? il est dans !Empereur ;
Plein de sagesse en son audace ,
Au jour marqué dans son grand cœur
D'un bond de son coursier il a franchi l'espace
Ou roulait dans l'abime un flot dévastateur ;
Par delà le vaste intervalle,
Superbe, se trouvait la France impériale
Avec toute sa gloire et toute sa splendeur,
Qui, pour lui mettre au front couronne sans rivale,
Attendait le triomphateur.
Mais de mon fabliau je poursuis la morale :
Trop souvent l'apparence offre un aspect trompeur;
L’aspic est parfois sous les roses ;
A trop de confiance ayant d’ouvrir son coeur,
La sagesse avec soin regarde au fond des choses.

Livre III, fable 1


Alger, 18 Octobre 1853.

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