S'arrêtant près d'une fontaine,
Un moissonneur vit, non loin de ses bords,
Athlètes vigoureux d'une lutte incertaine,
Aigle et serpent combattre corps à corps.
Après d'inutiles efforts,
L'aigle allait succomber sous la terrible étreinte
Des noueux replis du serpent.
Le moissonneur ému, déposant toute crainte,
Marche au reptile, et le frappant
De sa tranchante faux, fait jaillir sur l'arène
Le sang du dragon qui se traîne
Et siffle et se débat, découpé par tronçons.
Dans les plaines de l'air l'aigle reprend sa course.
Le moissonneur rejoint ses compagnons,
Leur portant de l'eau de la source.
Et comme, fatigué de la chaleur du jour,
Chacun d'eux, à l'envi, se servant tour à tour,
A ses lèvres bientôt allait porter sa coupe,
L'oiseau de Jupiter, qui plane sur leur groupe,
Et qui sait le destin qui leur est préparé,
Franchissant l'espace éthéré,
S'abat au milieu d'eux, renverse de son aile
La coupe de son défenseur,
Et, tel qu'un hardi ravisseur,
La saisit de son bec et repart avec elle,
Laissant son vengeur stupéfait.
n Façon singulière et nouvelle,
:' Disent les moissonneurs, de payer ton bienfait.
" Ta coupe, la vois-tu dans les airs promenée ? »
Puis, reprenant les leurs, ils les vident d'un trait.
Mais, à peine ont-ils bu, leur troupe consternée
Des horreurs du trépas se voit environnée.
Chacun d'eux est frappé d'une soudaine mort ;
Le seul sauveur de l'aigle, échappait à ce sort,
Éprouve, par sa destinée
Dans ce désastre inattendu,
Qu'un bienfait n'est jamais perdu.
L'eau de la source était empoisonnée.