De l’Arondelle et des autres Oisiaux Ysopet I (Moyen Âge)

Un vilain en un pays yere
Qui ot semé une liniere
A ce qu’autre lin en issit.
L’arondelle, a qui point ne scit,
S’en va si tost comme elle vole
Aux oisiaux conter la parole :
Si leur monstre de la liniere;
En quel guise et en quel maniéré
Elle leur peut nuire et grever,
S’elle puct croistre et lever.
Car li homs qui semée l’a
Cordes et grans rets en fera,
Où je et vous pourrons chéoir :
Si, nous en devons pourvéoir.
Alons trestuit, sans demourance,
Je et vous là, pour la semance
Au vilain mangier et destruire :
Si ne nous pourra jamais nuire.
Dame aronde, dit l’aloë,
Il n’est pas sage qui loë
A faire dommage au preudhomme :
Aler en conviendrait à Rome,
S’il en vouloit estre absols :
Le vilain, pour dras en son dos
Faire, a semé la semance,
Non pas pour nous faire grevance;
Râlé vous en en vos maison :
Car vous vous doubtés sans raison.
Et je vous ottroy, dit l’aronde,
Que on me plume ou qu’on me tonde,
Se ne vous en meschiet encores.
Chiez le vilain m’en yrai ores ;
Avecques li demoureray
Et de mon chant le déduii'ay.
Et cils l’ont trestout en despit.
La liniere sans grant l’espit
Leva et amenda et crust
Et fit tel fruist comme elle dust.
Et le vilain qui lin sema,
Rais et grans cordes fais en a,
Dont il en a maint oisel pris.

Celui doit bien estre punis
Qui en son san par troup s’assure
Et qui de bon conseil n’a cure.
Cils qui se veut bien gouverner
Le temps présent doit discerner ;
Du prétérit avair mémoire;
Ne soit bobancier de grant gloire,
Et doit le temps à avenir
Pourvéoir, conseil retenir :
Car cils qui est bien conseliés,
S’il le lait, doit estre oubliés.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.42


Fable XXV

Notes

Aloë : alouette
Loër : insinuer, exciter, louer
Doubter : craindre
Sun : sens
Bobancier : être vain et avide


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