Mercure, les Lapins et la Taupe Jacques Cazotte (1719 - 1792)

En supposant qu'on ne rêve pas creux,
Rêver est un plaisir des Dieux.
Dans un vallon de Thessalie,
Le front sur la main appuyé ,
Mercure un jour rêvait, dormant plus qu'à moitié;
Un petit bruit troubla sa rêverie.
Qui pouvait l'occasionner?
Je vous le laisse à deviner...
C'est qu'il était assis sur une taupinière,
Sous son bras ayant un clapier,
Où se trouvaient les Lapins et leur mère.
La Taupe y vient, sur un ton familier.
Bonjour, voisine ! eh bien , quelles nouvelles ?...
Je n'en sais point que je puisse conter;
Mais Jeannot vient : si l'on veut l'écouter,
On peut penser qu'il en dira de belles.
C'est d'aujourd'hui que nous l'avons sevré :
Il est allé s'égayer sur le pré...
Allons : sachons : conte-nous tes merveilles.
Parle, Jeannot, nous sommes tout oreilles»
Qui, moi, conter? ma foi, de tout mon cœur
Tout en sortant je rencontre une fleur ;
De notre aîné, j'étais en compagnie.
Qu'est-ce que ça, mon frère, je vous prie,
Il me l'a dit, et s'est mis à manger
Le bel objet, et moi, d'en enrager ;
Car, quel dommage ! elle était si jolie !
Heureusement elle avait quelques sœurs,
J'en admirais les charmantes couleurs.
Manges-en donc, a dit alors mon frère.
Et qu'as-tu fait? dit la Taupe... J'ai fait
Ce qu'à ma place on vous aurait vu faire,
Un bon repas... Va, tu n'e« qu'un benêt.
Mon goût, je pense, en peut valoir un autre ï
Sur ces fleurs-là, tous les jours je me vautre..
Ce bel objet n'est en tout que du foin,
Et sa bonté suit la même mesure.
Pour discerner, ma patte est assez sûre.
Moi, je le laisse à qui s 'en fait besoin.
Tu dirais donc qu'e c'est chose divine,
Si , comme moi, tu mangeais la racine.
Mais poursuivons, qu 'as-tu vu de nouveau?
Des fleurs, du foin ! cela n'est pas trop beau.
J 'ai vu. J'ai vu ; mais , pourrai-je le dire ?
Un grand éclat : cela partait d'en haut :
Cela marchait : cela faisait reluire
Ce qu'il touchait ; puis on sentait du chaud.
Que de brillant! J'en avais la berlue.
Il extravague, ou la bèche me tue,
Cria la taupe. Eh quoi ! c'est le soleil.
J'ai fait un pas ce matin, et j'assure
Avoir senti vivement la blessure
Qu'a faite, à moi, ce brillant sans pareil.
Il desséchait, où j'étais, la verdure,
Et le ruisseau, malgré qu'il soit courant.
Je le déteste. Il fait un mal horrible;
Si chaud, l'été, qu'il ne soit pas possible
De s'exposer à son rayon naissant.
Faible l'hiver, pour mieux dire, impuissant,
Avec la glace il est accommodant,
Autre beauté, dont tu n'as rien à dire ;
Mais on croirait que, pour mieux nous détruire,
L'un avec l'autre à merveille s'entend,
Quoiqu'ayant l'air de chercher à se nuire.
Mais ton Jeannot, ma bonne, me surprend.
On n'est pas simple , à ce point, je le jure;
Simple, ou rêveur, il faut sur la nature
Qu'il prenne ici quelque leçon de moi ;
Du bon, du vrai, j'ai saisi la mesure.
Je connais tout, et je sais les pourquoi t
Dame Lapin est de bonne conduite;
Elle a grand soin des petits, du terrier ;
Sur tous les points elle fait son métier,
Mais c'est à quoi se borne son mérite.
Parlant assez, ne se doutant de rien,
Comme il convient à femelle de bien ;
Crois-moi, Jeannot, puisqu'on veut bien t'instruire,
Sois attentif à ce qu'on va te dire j
Ton père est bête , et cent fois je l'ai dit,
Que rien n'est bon comme avoir de l'esprit.
Tu feras bien d'écouter la commère;
Elle en sait long ; le pacte allait se faire;
On convenait, à tant, pour la leçon.
Quand, tout-à-coup, le Dieu prend un bâton,
L'enfonce brusquement en terre,
Et, pour le bien de l'écolier,
Force la Taupe à sortir du clapier.
Fort souvent un aveugle, et qui ne croit pas l'être,
Aux autres se donne pour maître,
Et n'est qu'un dangereux tuteur.
S'il faut tout expliquer, on trouvera peut-être,
Et la nature et son sublime auteur,
Faiblement indiqués par Jeannot le conteur ;
Mais, quoique moins borné qu'il pourrait le paraître,
Un Lapin n'est pas un docteur.

Fable 32




Commentaires