La Mégère et le Perroquet John Gay (1685 - 1732)

Un mari qui tançait sa femme
Lui défilait ainsi sa gamme :
" Chère, qui sème des cancans Récoltera des ouragans.
Aux foudres de ton bavardage,
Que fait le sexe et que fait l'âge ?
Ta langue étourdit les voisins,
Chaque jour en propos malins,
Elle déborde ainsi qu'un fleuve
Sur fille, femme, ou bien sur veuve ;
Et puis faisant vibrer l'écho,
Vires acquiret eundo,
Semant le trouble et la discorde
Sans pitié, ni miséricorde."

"Tu-Dieu!" repart la virago!
" Le beau sermon ! bravo ! bravo !
Il faudrait donc que moi j'abjure
Le plus beau don de la nature !
Ça, ne froncez pas le sourcil,
Vous l'écouterez mon babil.
Contre tout cela je proteste,
Pauvres femmes ! on leur conteste
Le droit du moindre Perroquet !
Vous le trouvez beau son caquet,
Mais alors que parle une épouse,
Soudain il faut qu'on la jalouse.
Puis alors tout un chapelet
Le plus longuet, le plus complet,
De propos et de calomnie,
De colère et d'acrimonie,
Et sur chacune et sur chacun,
Et sur le blond et sur le brun ;
Enfin tout le vocabulaire
Du Perroquet, de la Vipère
Vient tomber sur le sexe entier
Comme l'eau sale d'un évier."
Mais soudain ce torrent d'injures
De sanglantes égratignures,
Alarme tous les animaux,
Chats, Chiens, Singes, jusqu'aux Oiseaux.
Le Chien glapit, Minette crache ;
Par son bavardage indiscret,
La Pie aussi soudain arrache
Le masque à son méchant caquet,
Quand dominant tout le tapage
Et de la Mégère la rage,
Maître Jacquot, le Perroquet,
Lui décocha ce camouflet :-

" Je le dis et sans gloriole
On estime en nous la parole ;
Mais on méprise le babil,
Qui du vil cancan est l'outil ;
En un mot la femme bavarde
Au nez fait monter la moutarde :
Madame, oyez : Tous vos voisins
Possèdent langue et ses engins .
Un cancan en enfante mille,
Or, gare à vous, vieille sybille !"

Livre I, fable 25




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