La Colombe et les Pies Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Le mérite toujours fera des envieux :
Ace titre, sans doute, on est heureux d'en faire ;
Vainement on voudrait réunir tous les vœux :
Aux yeux de nos jaloux le grand crime est déplaire.

Après avoir brillé , par ses rares talents,
Dans la ville où naquit le sublime Voltaire,
Une Colombe aimable, instruite et de bon sens,
À la campagne fit sa demeure ordinaire.
En Colombe polie et qui sait son devoir,
Elle rendit visite à la gent emplumée,
Qui n'a pour ornement que du blanc et du noir
Et beaucoup de babil : en un mot surnommée
La Pie. On la reçoit : on lui fait bon accueil ;
En apparence on l'aime à la folie ;
On a déposé tout orgueil,
Et l'amitié doit embellir sa vie.
« Avez-vous perdu la raison ?
Dit un jour une Pie à la troupe assemblée.
En suivant la Colombe , on dirait à son ton
Qu'elle pense honorer beaucoup notre assemblée,
Et j'ai cru même apercevoir
Qu'elle baillait en notre compagnie.
Soit dit pourtant sans nous faire valoir,
Nous ne lui cédons pas du côté du génie:
Qu'on interroge le chasseur,
Il nous accorde la finesse ;
Et malgré toute son adresse,
Souvent nous lassons sa vigueur.
Nous discourons avec aisance,
Nous articulons assez bien ;
Nous avons aussi la prudence :
Pour la Colombe ce n'est rien.
L'entendrons-nous toujours roucouler sa tendresse
Et s'amuser à nos dépens ?
A notre tour critiquons-là sans cesse,
Et sachons l'écarter de nos cercles charmants. »
La jalousie alors fait trouver l'avis sage :
Chacune bat de l'aile , en chœur on applaudit.
Que devint la Colombe ? en Colombe d'esprit
Elle quitta le sot Aréopage :
Sa vengeance fut le mépris.
Elle s'en fut dans des climats sauvages
Captiver tous les cœurs , charmer tous les esprits,
Et réunir tous les suffrages.

Pour quelques stupides censeurs,
Gardons-nous de perdre courage :
Le mérite que l'on outrage,
Trouve enfin des admirateurs.

Livre I, fable 16




Commentaires