Le Lion et son Fils Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

INSTRUIT par le grand âge et par l'expérience,
Un Lion qui touchait à son dernier moment,
Dit à son fils : « L'art du gouvernement
Est moins facile qu'on ne pense ;
Si vous voulez, mon fils, embellir vos destins,
Sachez vous occuper sans cesse :
Le sceptre est mal entre les mains
D'un Roi bercé par la mollesse.
Le bien de mes sujets fut mon premier désir :
Je n'ai pas fait pourtant tout ce qu'il fallait faire ;
Si je pouvais retourner en arrière,
Je saurais mieux régner, je saurais mieux jouir !
De la prévention, tâchez de vous défendre :
Qu'auprès de vous le malheureux,
A toute heure, en tous lieux, puisse se faire entendre.
Rassemblez près de vous des êtres vertueux.
Chassez de votre esprit cette horrible maxime,
Que le législateur est au-dessus des lois :
Un souverain, mon fils, abusant de ses droits
Provoque ses sujets au crime.
Sur un Roi constamment tous les yeux sont ouverts,
Chacun le suit et le contemple :
Aux criminels il faut donner des fers,
Et soutenir la vertu par l'exemple.
Tenez votre parole inviolablement,
Même à votre désavantage :
La promesse des rois est toujours un serment.
Dans la paix, mon fils, soyez sage,
À la guerre, soyez vaillant.
De votre autorité que le dépositaire
Ne soit jamais injuste impunément :
Un ministre intègre et prudent,
Du souverain qui le préfère,
Fait l'éloge publiquement.
Le vrai mérite est long-tems à connaître,
Il fuit l'éclat et la vaine grandeur :
À le chercher montrez beaucoup d'ardeur,
En le récompensant forcez-le de paraître.
C'est ici le moment de vous faire un aveu,
Qui coûterait à la délicatesse
D'un autre roi, mais qui me coûte peu,
Mon fils, puisqu'il vous intéresse.
Chaque ministre a son département :
C'est en comptant sur eux qu'un bon roi se soulage.
Votre père, ô mon fils ! ne fut point assez sage,
Pour en changer bien rarement ;
Qu'arriva-t-il ? chacun pour prouver son mérite
À son gré réforma l'Etat :
La besogne de l'un par l'autre fut détruite,
Et le malheur du peuple en fut le résultat. »
Il n'en put dire davantage,
Et finit là son utile discours ;
De la voix il perdit l'usage,
Et la Parque trancha le fil de ses beaux jours.

Le fils grava dans sa mémoire
Les préceptes d'un roi constamment respecté ;
Et lorsque sur le trône il fut enfin monté,
A les bien observer il mit toute sa gloire,
Des ministres qu'il prit, il se fit informer :
Et pour qu'aucun n'encourût sa disgrâce,
Il fut bien lent à les nommer,
Et les laissa long-tems en place.

Livre IV, fable 22




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