Dans le misérable taudis
D'une pauvre sexagénaire,
Vivait, ou pour mieux dire expirait de misère
Un descendant de Rominagrobis.
Du riche embonpoint de son père
Il était bien déchu. Très-souvent il jeûnait :
Du pain noir, un peu de brouet
Soutenaient seuls sa débile existence :
De la vieille c'était l'ordinaire pitance.
Si parfois sous sa grifse une souris tombait,
Il bénissait la providence ;
Mais il avait rarement cette chance,
Et presque toujours, sans souper,
Le pauvre hère allait tristement se coucher.
Un jour que sur les toits il cherchait aventure,
Il avise un matou dont l'épaisse fourrure,
La large face, l'œil serein,
La marche fière et la forte encolure
Annonçaient un gaillard que jamais le destin
Ne força d'endurer ou la soif ou la faim.
Il le regarde avec un œil d'envie.
« Oserais-je, dit-il, à votre seigneurie
Demander humblement à quels heureux secrets
Elle doit cette bonne mine ? »
« Rien de plus simple : du palais
Soir et matin je haute la cuisine ;
En m'y glissant avec un air câlin,
Je sais, malgré le chef, malgré son galopin,
Attraper chaque jour quelque franche lippée. »
« Que ne puis-je jouir d'un semblable bonheur ! »
« Je veux, dit le matou, te procurer l'entrée
De ce paradis enchanteur.
Suis-moi, mais d'un peu loin ; de ton air de misère
Et de ton piètre extérieur
Je rougirais. » Cette pitié grossière
Offensa Raton ; mais qu'y faire ?
Il n'eût servi de rien de montrer de l'humeur :
Le pauvret avait faim ; force fut de se taire.
Il suit donc au palais son hautain protecteur.
En entrant dans cet Elysée,
Une savoureuse fumée
De notre famélique chat
Délicieusement affecta l'odorat.
Son hardi compagnon saisit avec adresse
Un morceau succulent, puis de fuir il s'empresse.
En vain le faible et timide Raton
Voulut en faire autant : un jeune marmiton
L'aperçoit et l'étrille ; heureusement la fuite
Le sauva de ses mains. « Ah ! dit-il, au plus vite
Sortons de cet enfer, retournons sur nos pas,
Et regagnons de ma bonne maîtresse
Le modeste réduit. Si je n'y trouve pas
Un délicat et splendide repas,
Elle m'accueillera du moins avec tendresse. »