L'Homme judicieux et le Sifflet Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Un Sifflet (on en voit partout,
Et chez les critiques surtout)
Faisait un bruit insupportable,
Pendant qu'un jeune et fort modeste auteur
Lisait un ouvrage agréable
Qui prouvait son esprit ainsi que son bon cœur.
Est-ce vengeance, ou bien est-ce manie ?
Lui dit l'homme judicieux.
Dans cet écrit je vois des traits heureux
Et même des traits de génie.
Vous plaisantez, dit le Sifflet :
Moi, je n'y vois rien de passable,
Et je vous déclare tout net
Que son ensemble est détestable. --
Alors il siffle bien plus fort.
« Faisant un si grand bruit vous ne pouvez entendre,
Et l'on blâme toujours à tort,
Ce qu'on blâme sans le comprendre. »
En ce moment l'Homme judicieux
Parlait et raisonnait au mieux ;
Mais le Sifflet n'eut-il pas l'insolence
D'oser le siffler à son tour ?
< Dit-il, « c'est aujourd'hui, faquin, ton dernier jour. »
Il saisit le sifflet, le fait rouler à terre,
Et d'un pied ferme et vigoureux,
Par ses coups redoublés le réduit en poussière :
C'est là le sort de tous les gens hargneux.

Jeunes auteurs, efforcez-vous de plaire :
C'est avec le travail que l'on surmonte tout ;
Méprisez les sifflets du stupide vulgaire,
Et ne craignez que le sifflet du goût.

Livre I, fable 12




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